Apollonia d’Illyrie - Campagne 2019 du programme franco-albanais

, par Jean-Michel Colas

Le programme albano-français d’Apollonia d’Illyrie associe l’Institut archéologique de Tirana, l’UMR 8546-AOROC (CNRS-ENS-EPHE, Université PSL), le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et les Écoles françaises de Rome et d’Athènes, avec la collaboration de l’Institut de recherche en architecture antique (USR 3155). Il bénéficie cette année du soutien de l’IRIS Scripta (Université PSL) dans le cadre du programme ScriptApollonia.


Cette année, un nouveau programme de fouille a été entrepris dans le secteur de la porte nord-est, qui se trouve entre les deux acropoles de la ville, à proximité de l’agora hellénistique, et qui s’ouvre sur la voie qui conduit à la nécropole grecque et, plus loin, à la branche méridionale de l’itinéraire de la via Egnatia. Il s’agit d’une campagne exploratoire destinée à orienter les fouilles des prochaines années dans quatre secteurs : la porte elle-même et son insertion dans le système de fortification, le quartier d’habitation qui se trouve au nord, un sanctuaire situé au sud et la zone péri-urbaine à l’est.
Les études du matériel se poursuivent de manière intensive. On achève la préparation du référentiel de la céramique d’Apollonia, qui fera l’objet de trois volumes monographiques élaborés à partir des ensembles mis au jour depuis 1994 : un volume portera sur la céramique archaïque et classique, un autre sur la céramique hellénistique et le troisième sur la céramique romaine. Deux autres volumes portant sur les fouilles dans le secteur de la maison G et sur celles de l’agora hellénistique et des quartiers archaïques et classiques de la ville haute sont également en cours de rédaction. De nouvelles études ont été entreprises, entre autres sur les inscriptions, les figurines en terre cuite et les blocs d’architecture.
L’enquête globale sur la topographie urbaine se poursuite, avec d’une part l’étude des fortifications et d’autre part la reprise des prospections géophysiques initiées en 2004-2005.
 
Les études : monographies de fouilles et corpus thématiques

À gauche : Étude de la céramique hellénistique (C. Rocheron)
À droite : F. Bièvre-Perrin réalise une RTI (Reflectance Transformation Imaging) sur une marque de carrier du rempart

Une partie de l’équipe s’emploie à mener à bien les études nécessaires à l’achèvement des publications monographiques consacrées aux fouilles de 1994-2016 ainsi qu’aux monuments et au matériel archéologique qu’elles ont mis au jour. Seront prochainement déposés pour publication trois volumes portant sur les ensembles céramiques provenant de contextes stratigraphiques homogènes. Ces ouvrages ont pour objectif de fournir un référentiel complet des productions et des importations de céramiques à Apollonia pendant un millénaire, depuis la fondation de la cité vers 600 avant J.-C. jusqu’à son abandon au Ve siècle après J.-C. Ils suivent les grandes phases chronologiques de l’histoire de la ville : les époques archaïque et classique (S. Verger), hellénistique (C. Rocheron) et romaine (M.-H. Barrière), en faisant connaître des ensembles céramiques issus des fouilles menées par l’équipe franco-albanaise depuis 1993, dans les substructions de l’agora, dans le secteur de la maison G ainsi que sur l’agora hellénistique. Plusieurs volumes de présentation des secteurs de fouille sont également en chantier. Un volume porte sur le secteur de la maison romaine G (J.-L. Lamboley, A. Skënderaj). Sont achevés les chapitres portant sur la topographie et l’architecture de l’édifice qui se trouve dans la partie nord de l’îlot et l’étude des différentes catégories du matériel : métal et os (S. Veseli), monnaies (Sh. Gjongecaj). Les relevés photogrammétriques effectués au cours des deux dernières années permettront la mise au point du chapitre topographique et architectural sur le grand égout qui borde la maison G. Un deuxième volume porte sur les prospections et les fouilles menées de 2004 à 2014 dans le secteur de l’agora hellénistique et des quartiers archaïques et classiques de la ville haute (S. Shpuza, S. Verger, Ph. Lenhardt, F. Quantin). Il s’agit enfin de renouveler les corpus thématiques : celui des inscriptions (programme ScriptApollonia, F. Quantin) ; celui des figurines en terre cuite (B. Muka) ; le catalogue et l’étude de la très riche série de fragments de décorations architecturales de la zone de l’agora hellénistique (Ph. Lenhardt, F. Quantin). Pour ce qui concerne les inscriptions, il s’agit d’une part de mettre à jour le corpus publié par P. Cabanes et F. Drini et d’autre part, grâce au programme ScriptApollonia, de mener une étude globale, sur la longue durée, des multiples usages de l’écriture à Apollonia et de leur inscription dans l’espace de la ville et dans les diverses strates de la société apolloniate, depuis l’époque de la fondation jusqu’à l’abandon de la ville au début de l’époque byzantine. L’étude des terres cuites figurées concerne tous les ensembles trouvés à Apollonia, à la fois dans la ville, dans ses sanctuaires extra-urbains et dans ses nécropoles. L’établissement des diverses typologies laisse déjà apparaître de grandes séries, situées pour la plupart à des générations bien éloignées de leur prototypes. Par ailleurs, le nettoyage systématique révèle des décors peints sur certaines figurines. L’étude des fragments d’architecture est rendue possible par la grande variété des blocs ou fragments de blocs architecturaux trouvés dans les fouilles du portique nord (2004-2014) et en contrebas (1994-2005). Cet ensemble, conservé dans les réserves de la maison de fouille, contient, de manière fragmentaire, de très nombreux éléments de l’architecture publique d’Apollonia et sera la base de propositions de restitution. La reprise de la fouille : le secteur de la porte d’Orient 

À gauche : les fouilles au nord de la porte
Au centre : la fouille au sud de la porte
À droite : la porte de l’Orient vue de l’extérieur après nettoyage. On observe au centre le bouchage tardif et l’éboulis de blocs du couloir

Après deux années d’interruption rendues nécessaires par les exigences de la préparation des publications, la campagne de 2019 est marquée par un retour au terrain. Il s’agit de reprendre l’exploration topographique et stratigraphique de la ville haute. C’est là que se sont concentrés les efforts des équipes françaises et albano-françaises, qui se sont illustrées par : la mise au jour du centre monumental romain et du portique au dix-sept niches, à l’époque de Léon Rey ; la fouille de la zone au nord de ce portique, de 1994 à 2008 ; la mise en évidence des quartiers archaïques et classiques et de l’agora hellénistique par les prospections géophysiques (2004-2005) et les sondages stratigraphiques (2006-2008) ; la fouille du grand portique au nord de l’agora (2010-2014).
Le nouveau programme de fouille concerne le secteur de la porte nord-est. Cette zone se situe entre les deux acropoles de la ville (traditionnellement appelés « Acropole » pour la colline nord et « colline 104 », en référence à son altitude, pour l’acropole sud) à proximité de l’agora hellénistique. Elle comprend, outre la porte elle-même et la fortification, un quartier d’habitation remontant à l’époque archaïque repéré lors des prospections géophysiques de 2004-2005 et une zone de sanctuaire identifiée lors des fouilles albano-soviétiques des années 1958-1960. La route qui sort de la ville à cet endroit ouvre sur la vallée de Kryegjata et sur la grande nécropole tumulaire grecque. Elle se prolonge au nord-est vers la grande route trans-balkanique qui devint la via Egnatia au IIe siècle avant notre ère.
L’exploration demande un important travail préalable de nettoyage de l’ensemble du secteur et de déblaiement des restes de fouilles précédentes des années 1950 et 1980. Des sondages ont ensuite été implantés dans quatre grands secteurs :

  • La porte nord-est elle-même (Secteur 1). L’objectif est de clarifier le plan de tout le dispositif de la porte, qui a subi plusieurs modifications au cours de son histoire, avant l’écroulement qui est visible aujourd’hui.
  • Le « quartier de la fortification », c’est-à-dire le quartier remontant à l’époque archaïque connu par les prospections géophysiques (Secteur 2). L’équipe cherche ici à retrouver les limites des îlots et des rues qui les séparent, à identifier les différentes phases d’occupation et à comprendre l’articulation entre ce quartier et la courtine de la fortification qui la borde.
  • L’extérieur immédiat de la ville, au nord-est de la porte et le long de la courtine (Secteur 3). Il s’agit ici, d’une part, de préciser l’architecture et la chronologie de la courtine, en en révélant de nouvelles assises et les fondations, et, d’autre part, de trouver les niveaux de circulation antiques, là où devait se trouver le départ d’une des routes principales de la cité.
  • La terrasse-bastion au sud de la porte (Secteur 5). Des blocs affleurant laissaient imaginer la présence possible d’un ancien état du rempart, dans le prolongement de la courtine dégagée un peu plus au sud. Le début des fouilles révèle au contraire une grande structure rectangulaire, probablement contemporaine de la construction de la terrasse retenue par la courtine en contrebas.
     
    La topographique générale : prospections géophysiques et étude des fortifications
     
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    À gauche : la courtine entre la porte de l’Orient et l’acropole sud
    À droite : la porte sud. On distingue en arrière-plan, de gauche à droite : la colline de Shtyllas avec les restes de son temps dorique, le promontoire du Karaburun (les antiques monts acrocérauniens) et l’île de Sazan à l’entrée de la mer Adriatique

    L’un des apports majeurs de l’équipe franco-albanaise a été l’étude de la topographie générale de la ville d’Apollonia, dont un premier bilan a été présenté dans l’Atlas archéologique et historique publié en 2007. Elle s’est poursuivie grâce aux prospections géophysiques menées en 2004 et 2005, complétées par celles que l’équipe albano-germanique a ensuite effectuées dans la partie méridionale de la ville. Il s’agit maintenant de poursuivre et de préciser cette étude globale par de nouvelles prospections géophysiques, qui sont prévues pour la fin de 2019, et par une nouvelle enquête de grande ampleur.
    Cette dernière concerne l’étude architecturale, archéologique et historique des fortifications d’Apollonia, menée par N. Genis en collaboration avec des chercheurs de l’Institut archéologique de Tirana. La recherche porte dans un premier temps sur la muraille orientale, de la porte sud à la porte nord-est, dont l’étude bénéficiera des résultats des fouilles commencées cette année.
    La collaboration avec un architecte au printemps permis d’établir de nouveaux plans pour ce secteur et pour celui de la porte sud, ainsi que des relevés des élévations de toute la courtine nord-est. Ces dessins seront à la base de l’étude architecturale, en particulier pour identifier les ensembles morphologiquement semblables.
    Enfin, la campagne de documentation photogrammétrique de tous les segments déjà découverts de la fortification se poursuit, dans le but de disposer d’orthoimages géoréférencées pour accélérer le relevé architectural, au cours des prochaines années, des portes et des courtines bien conservées.
     
    Formation
     

    Le chantier d’Apollonia a une vocation de formation pratique à l’archéologie. Cette année, sept étudiants en archéologie de l’Université de Tirana ont participé aux travaux et ont notamment appris à fouiller selon la méthode appropriée (de la pioche à la truelle), à réaliser un lever topographique, à traiter la céramique (du lavage à l’enregistrement et au dessin) et à enregistrer les données de fouilles (carnet de fouilles et fiches US, blocs, objet…). Il s’agit aussi de compléter l’expérience des doctorants et post-doctorants français et albanais en matière de responsabilité de secteur, de la conduite d’une équipe d’ouvriers de fouilles à l’élaboration de la documentation, au traitement et à l’inventaire du matériel archéologique et à la rédaction d’un compte rendu de la fouille.
     
    Mise en valeur du site
     

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    Réunion de travail autour des travaux des étudiants de l’Université de Cergy avec la directrice du parc archéologique d’Apollonia (O. Durmishaj)

    Réunion de travail autour des travaux des étudiants de l’Université de Cergy avec la directrice du parc archéologique d’Apollonia (O. Durmishaj)Le programme albano-français d’Apollonia d’Illyrie poursuit enfin le partenariat fructueux qu’il entretient depuis de nombreuses années avec le parc archéologique d’Apollonia, avec le soutien précieux de l’ambassade de France à Tirana, en vue de la mise en valeur des résultats des recherches et d’une meilleure présentation des vestiges aux touristes, qui sont chaque année plus nombreux.
    Cette année, dans le cadre d’un partenariat entre l’UMR 8546-AOROC et la licence professionnelle « Métiers du numérique et infographie : patrimoine, visualisation et modélisation 3D » de l’Université de Cergy, un groupe d’étudiants a consacré son projet collectif annuel au site d’Apollonia : élaboration d’un nouveau dépliant de visite, renouvellement des panneaux pédagogiques, proposition de charte graphique, projet de site web, esquisse de restitution 3D interactive de la ville antique. Ce projet reçoit le soutien du parc archéologique et de sa directrice, Ornela Durmishaj, ainsi que de l’ambassade de France à Tirana. Un approfondissement du travail est prévu pour l’année universitaire 2019-2020, en vue d’une présentation lors des journées de la francophonie à Tirana en 2020.
     
    Les avancées de tous ces dossiers d’étude, de fouille, de formation et de mise en valeur ont été présentées à la fin de la campagne d’été à Mme Christina Vasak, ambassadeur de France en Albanie, accompagnée de M. Jérôme Spinoza, conseiller de coopération et d’action culturelle à l’Ambassade de France en Albanie.
     
    L’équipe
     

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    À gauche : l’équipe de la campagne de l’été 2019 devant la porte de l’Orient
    À droite : le soleil se lève sur la via Egnatia

    Responsables du programme :
    Stéphane Verger, École Pratique des Hautes Études-UMR 8546-AOROC
    Belisa MUKA, Institut d’Archéologie de Tirana

Membres statutaires :
Jean-Luc Lamboley, professeur à l’Université Lyon 2, membre sénior de l’Institut universitaire de France, UMR 5189-HiSoMA
Shpresa Gjongecaj, professeur à l’Institut archéologique de Tirana
François Quantin, professeur à l’Université Aix-Marseille, directeur de l’USR 3155-IRAA
Saimir Shpuza, chercheur à l’Institut archéologique de Tirana
Altin Skënderaj, chercheur à l’Institut archéologique de Tirana
Philippe Lenhardt, architecte à l’USR 3155-IRAA
Nicolas Genis, membre scientifique de l’École française d’Athènes, UMR 5189-HiSoMA
Lavdosh Jaupaj, chercheur doctorant à l’Institut archéologique de Tirana

Participants en 2019 :
Marie-Hélène Barrière, post-doctorante, UMR 5189-HiSoMA
Fabien Bièvre-perrin, post-doctorant, USR 3155-IRAA
Cécile Rocheron, post-doctorante, UMR 8546-AOROC
Magali Huille, architecte
Christophe Bailly, dessinateur, UMR 8546-AOROC
Éléonore Favier, doctorante à l’Université Lumière Lyon 2, UMR 5189-HiSoMA
Martin Jaillet, doctorant à l’École Pratique des Hautes Études, UMR 8546-AOROC
Linda Papi, doctorante à l’École Pratique des Hautes Études, UMR 8546-AOROC
Daniela Ferko, étudiante à l’Université de Tirana
Elisabeta Mosho, étudiante à l’Université de Tirana
Gerald Nako, étudiant à l’Université de Tirana
Anton Ndreça, étudiant à l’Université de Tirana
Neron Pepa, étudiant à l’Université de Tirana
Raqo Ristollari, étudiant à l’Université de Tirana

À gauche : les fouilles au nord de la porte Au centre : la fouille au sud de la porte À droite : la porte de l'Orient vue de l'extérieur après nettoyage. On observe au centre le bouchage tardif et l'éboulis de blocs du couloir {JPEG}